test_french_literary_passages_analysis / test_long_french_literary_analysis.jsonl
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{"literary_passage": "Analyse ce passage :\n\n(Fleurs du mal de Baudelaire, chapitre \u00c0 une passante, partie 3)\n\nUn \u00e9clair... puis la nuit ! \u2014 Fugitive beaut\u00e9\nDont le regard m'a fait soudainement rena\u00eetre,\nNe te verrai-je plus que dans l'\u00e9ternit\u00e9 ?\nAilleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-\u00eatre !\nCar j'ignore o\u00f9 tu fuis, tu ne sais o\u00f9 je vais,\n\u00d4 toi que j'eusse aim\u00e9e, \u00f4 toi qui le savais !\n", "literary_analysis": "Traditionnellement, le sonnet bascule entre les quatrains et les tercets, c\u2019est ce qu\u2019on appelle la volta. Ici, on pourrait dire que tout se joue dans l\u2019intervalle des points de suspension comme si le moment \u00e9tait trop court, impossible \u00e0 raconter. Ou encore, comme si l\u2019\u00e9v\u00e9nement \u00e9tait justement une rencontre qui n\u2019a pas eu lieu. L\u2019image de l\u2019\u00e9clair remotive l\u2019expression \u00ab un \u00e9clair de g\u00e9nie \u00bb : la beaut\u00e9 est comme un paysage \u00e9clair\u00e9 par la foudre, tout en contrastes, fugace et mena\u00e7ant. Le clair et l\u2019obscur, tuer et faire rena\u00eetre, ce sont des antith\u00e8ses, le rapprochement de termes oppos\u00e9s, qui illustrent bien le paradoxe de la beaut\u00e9 baudelairienne : \u00e0 la fois vitale et redoutable pour l\u2019artiste. q>L\u2019\u00e9tude du beau est un duel o\u00f9 l\u2019artiste crie de frayeur avant d\u2019\u00eatre vaincu. \u00bb Baudelaire, Le Spleen de Paris, \u00ab le Confiteor de l\u2019Artiste \u00bb, 1869. Cette fugitive beaut\u00e9 forme un contre-rejet : un enjambement o\u00f9 la phrase d\u00e9bute en fin de vers. Du coup le vers se prolonge, et on attend la rime jusqu\u2019au dernier mot du tercet : \u00ab \u00e9ternit\u00e9 \u00bb qui lui est diam\u00e9tralement oppos\u00e9. C\u2019est bien une beaut\u00e9 paradoxale, prise entre la temporalit\u00e9 la plus longue et l\u2019instant le plus court. Le tiret de dialogue annonce un discours direct : les paroles sont rapport\u00e9es telles quelles. Le po\u00e8te semble apostropher la beaut\u00e9 avec son nom propre, sans d\u00e9terminant et avec une majuscule... D\u2019ailleurs, employ\u00e9 comme un nom commun, l\u2019adjectif \u00ab fugitive \u00bb peut aussi d\u00e9signer une personne, paradoxalement absente au moment o\u00f9 le po\u00e8te l\u2019appelle de vive voix. Il s\u2019adresse \u00e0 elle directement \u00e0 la deuxi\u00e8me personne : \u00ab ne te verrai-je plus ? \u00bb Mais en m\u00eame temps, le futur et la forme n\u00e9gative en font une question rh\u00e9torique : une question dont la r\u00e9ponse n\u2019est pas attendue. Le dialogue est rendu impossible par cette absence d\u00e9finitive. Quand le po\u00e8te se retourne, la passante a d\u00e9j\u00e0 disparu : on peut certainement lire ce po\u00e8me comme une r\u00e9\u00e9criture d\u2019Orph\u00e9e, ce po\u00e8te mythique qui serait descendu aux enfers pour retrouver sa bien aim\u00e9e Eurydice. Mais il se retourne trop t\u00f4t sur le seuil des Enfers, et elle dispara\u00eet irr\u00e9m\u00e9diablement. La rue \u00e9tait d\u00e8s le d\u00e9but un lieu aux connotations infernales. Le verbe rena\u00eetre semble indiquer que le Po\u00e8te est tir\u00e9 de la mort elle-m\u00eame. \u00ab Ne te verrai-je plus que dans l\u2019\u00e9ternit\u00e9 ? \u00bb l\u2019obstacle qui les s\u00e9pare d\u00e9sormais est aussi infranchissable que la mort elle-m\u00eame. Tout cela rend plausible le motif de la catabase : c\u2019est le mot savant pour d\u00e9signer le voyage aux enfers. Le dernier tercet d\u2019un sonnet doit normalement constituer une pointe, un effet de chute final. C\u2019est le cas ici : le po\u00e8te r\u00e9pond lui-m\u00eame \u00e0 sa question : \u00ab Ailleurs, bien loin d\u2019ici, trop tard, jamais peut-\u00eatre. \u00bb C\u2019est une gradation : des termes de plus en plus fort, d\u2019abord dans l\u2019espace (\u00e7a laisse encore une possibilit\u00e9 de retrouvailles, par le voyage par exemple) mais ensuite dans le temps, et l\u2019adverbe jamais signe d\u00e9finitivement la fin de cet espoir. Regardez comment sont dispos\u00e9s les pronoms personnels qui repr\u00e9sentent le po\u00e8te et la passante : c\u2019est un chiasme, une structure en miroir qui les \u00e9loigne d\u00e9finitivement l\u2019un de l\u2019autre. Le mot \u00ab Ailleurs \u00bb rappelle ces po\u00e8mes, comme le Parfum Exotique ou l\u2019Invitation au Voyage, o\u00f9 la beaut\u00e9 ne semble pouvoir se trouver qu\u2019en des lieux toujours lointains. L\u2019ailleurs est bien chez Baudelaire un symbole de la recherche esth\u00e9tique. Le subjonctif est le mode de l\u2019irr\u00e9el ou de la virtualit\u00e9, notamment pour faire des hypoth\u00e8ses. \u00ab \u00d4"}
{"literary_passage": "Analyse ce passage :\n\n(Fleurs du mal de Baudelaire, \u00c9l\u00e9vation, partie 4)\n\nDerri\u00e8re les ennuis et les vastes chagrins\nQui chargent de leur poids l'existence brumeuse,\nHeureux celui qui peut d'une aile vigoureuse\nS'\u00e9lancer vers les champs lumineux et sereins ;", "literary_analysis": "Avec la pr\u00e9position \u00ab derri\u00e8re \u00bb et l\u2019adjectif \u00ab vastes \u00bb les ennuis et les chagrins deviennent concrets, mat\u00e9riels. En face de l\u2019\u00e9nergie ascendante, Baudelaire oppose une inertie, le \u00ab poids \u00bb des ennuis et des chagrins, qui se trouvent du c\u00f4t\u00e9 du Spleen. Baudelaire n\u2019invente pas une m\u00e9taphore originale, il prend pour appui des expressions toutes faites : \u00ab le poids des ennuis \u00bb, \u00ab la lourdeur d\u2019une activit\u00e9, pesante \u00bb etc. mais par sa petite mise en sc\u00e8ne, il remotive la m\u00e9taphore cach\u00e9e dans l\u2019expression courante : c\u2019est ce qu\u2019on appelle une catachr\u00e8se. Cela explique aussi l\u2019image de \u00ab l\u2019existence brumeuse \u00bb : la brume, c\u2019est un amas de gouttelettes d\u2019eau, trop lourdes pour s\u2019\u00e9lever loin du sol. Le quatrain fonctionne sur un syst\u00e8me d\u2019opposition. Les deux premiers vers sont du c\u00f4t\u00e9 du Spleen, tandis que les deux vers suivants sont du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019id\u00e9al. \u00ab Heureux celui qui peut \u00bb Baudelaire reprend et d\u00e9tourne les b\u00e9atitudes de la bible \u00ab heureux les simples d\u2019esprit, car le royaume des cieux est \u00e0 eux. \u00bb C\u2019est le sermon sur la Montagne, rapport\u00e9 par l\u2019\u00e9vang\u00e9liste Matthieu. Au contraire, chez Baudelaire, le bonheur n\u2019est pas dans la simplicit\u00e9 de l\u2019esprit, mais dans sa libert\u00e9 et son exercice. En utilisant la r\u00e9f\u00e9rence biblique, le propos de Baudelaire se g\u00e9n\u00e9ralise. La valeur du pr\u00e9sent devient clairement un pr\u00e9sent de v\u00e9rit\u00e9 g\u00e9n\u00e9rale : ce n\u2019est plus \u00ab mon esprit sillonne gaiement l\u2019immensit\u00e9 profonde \u00bb mais \u00ab Heureux sont tous les hommes dont l\u2019esprit peut s\u2019\u00e9lancer vers les champs lumineux et sereins. \u00bb Peut-\u00eatre que Baudelaire a choisi la m\u00e9taphore des champs \u00e0 cause de son homophonie avec le chant, il indiquerait ainsi que cet espace lumineux est justement celui de la po\u00e9sie. D\u2019ailleurs, cette partie du po\u00e8me est particuli\u00e8rement musicale, regardez : Les assonances en EU cr\u00e9ent une impression de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, en soulignant des mots importants et positifs : heureux, vigoureux, lumineux. Les allit\u00e9rations en L illustrent les battements d\u2019aile. En effet le nageur s\u2019est d\u00e9sormais compl\u00e8tement m\u00e9tamorphos\u00e9 en oiseau, avec \u00ab l\u2019aile vigoureuse \u00bb. On trouve toutes sortes d\u2019oiseaux chez Baudelaire, on peut penser \u00e0 l\u2019Albatros, ce roi de l\u2019azur avec ses ailes de g\u00e9ant, et qui incarne justement une image du po\u00e8te."}
{"literary_passage": "Analyse ce passage :\n\n(Fleurs du mal de Baudelaire, Hymne \u00e0 la Beaut\u00e9, partie 2)\n\nTu contiens dans ton \u0153il le couchant et l\u2019aurore ;\nTu r\u00e9pands des parfums comme un soir orageux ;\nTes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore\nQui font le h\u00e9ros l\u00e2che et l\u2019enfant courageux.", "literary_analysis": "La deuxi\u00e8me personne du singulier revient de fa\u00e7on ent\u00eatante en d\u00e9but de vers, c'est ce qu'on appelle une anaphore rh\u00e9torique, une construction r\u00e9p\u00e9t\u00e9e en t\u00eate de phrase ou de proposition. Au d\u00e9but du quatrain, la relation est plut\u00f4t physique et sensuelle, \u00e0 travers le regard, les parfums, les baisers. Mais ensuite le philtre fait r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 la l\u00e9gende Tristan et Iseut : c'est une relation amoureuse, passionnelle, et irr\u00e9sistible, parce qu'elle est magique. En recevant ces baisers, le po\u00e8te est \u00e0 la fois h\u00e9ros et enfant : il est profond\u00e9ment transform\u00e9 par cette relation surnaturelle. Dans ce dernier vers, le h\u00e9ros et l\u2019enfant surgissent avec leur cort\u00e8ge d'exemples qui envahissent imm\u00e9diatement l'imaginaire. Le h\u00e9ros l\u00e2che, c'est P\u00e2ris charm\u00e9 par H\u00e9l\u00e8ne qui provoque la guerre de Troyes, c'est Ulysse attach\u00e9 au m\u00e2t de son navire pour r\u00e9sister au chant des sir\u00e8nes, ou encore Samson, le guerrier biblique s\u00e9duit par Dalila, qui le prive de sa force en lui coupant les cheveux\u2026 L\u2019enfant courageux, on le retrouve dans de nombreux contes : le Petit Poucet, Hansel et Gretel, Jacques et le Haricot Magique, etc. Ces r\u00e9f\u00e9rences m\u00e9langent des mythes bibliques, antiques, des contes et des l\u00e9gendes. Pour aller encore plus loin : \u00ab Aurore \u00bb, c'est le pr\u00e9nom de la belle au bois dormant\u2026 Et c'est aussi le nom d'une d\u00e9esse, qui suit la course du soleil. \u00ab H\u00e9ros l\u00e2che \u2026 enfant courageux \u00bb c'est une double antith\u00e8se qui forme en plus un chiasme : l\u2019enfant normalement peureux devient le H\u00e9ros, brave par d\u00e9finition, et inversement. Ce philtre aux effets contradictoires repr\u00e9sente bien l'ambivalence de la beaut\u00e9. Le mot \u00ab philtre \u00bb est polys\u00e9mique : il a plusieurs sens. L'\u00e9lixir d'amour renvoie \u00e0 Tristan et Iseult, mais aussi d\u2019une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale \u00e0 la sorcellerie, aux contes de f\u00e9e. Le philtre d\u00e9signe aussi la partie en creux de la l\u00e8vre sup\u00e9rieure qu'on appelle \u00ab l\u2019arc de Cupidon \u00bb : tout est fait pour m\u00e9langer des r\u00e9f\u00e9rences culturelles vari\u00e9es. On rejoint la mythologie antique \u00e9galement avec le mot \u00ab amphore \u00bb. \u00ab Ton oeil \u00bb, c'est une synecdoque (la partie repr\u00e9sente le tout) l'oeil au singulier d\u00e9signe en fait les yeux, le regard, la beaut\u00e9 toute enti\u00e8re. La synecdoque suit toujours une logique m\u00e9tonymique : un glissement de sens par proximit\u00e9. C'est caract\u00e9ristique de l'envahissement du po\u00e8me par le principe de l'all\u00e9gorie. Le couchant et l'aurore, qui s'opposent normalement, se retrouvent concentr\u00e9s dans un oeil au singulier : ils se compl\u00e8tent alors pour former un univers entier, dans un instant fig\u00e9. Dans cette image, l'oeil devient un astre : le soleil du matin et du soir, peut-\u00eatre aussi la lune, les \u00e9toiles, ou encore l'horizon circulaire du monde, qui symbolise l'infini. Le jeu de lumi\u00e8res qui m\u00eale le couchant et de l'aurore forme en m\u00eame temps un jeu avec les perceptions. Le \u00ab soir r\u00e9pand des parfums \u00bb ... \u00ab orageux \u00bb il est en m\u00eame temps sonore. D'ailleurs, les sonorit\u00e9s du quatrain d\u00e9pendent fortement de la lettre O , comme si le cercle \u00e9tait d\u00e9multipli\u00e9 dans le texte lui-m\u00eame. La forme arrondie de la bouche, compar\u00e9e \u00e0 une amphore, est souvent associ\u00e9e au chant et au genre lyrique... Elle peut aussi \u00e9voquer l'image de la corne d'abondance, qui symbolise une richesse infinie. On peut aussi penser aux Dana\u00efdes condamn\u00e9es \u00e0 remplir \u00e9ternellement un tonneau sans fond. Le verbe \u00ab contenir \u00bb a en m\u00eame temps un sens tr\u00e8s dynamique : on contient ce qui d\u00e9borde. D'ailleurs il est aussit\u00f4t contredit par le verbe \u00ab r\u00e9pandre \u00bb. C'est une des ambivalences de la beaut\u00e9, qui donne acc\u00e8s \u00e0 un univers \u00e0 la fois concentr\u00e9 et en expansion. Dans le m\u00eame sens, la rime \u00ab orageux / courageux \u00bb est"}
{"literary_passage": "Analyse ce passage :\n\n(Fleurs du mal de Baudelaire, L\u2019Albatros, partie 4)\n\nLe Po\u00e8te est semblable au prince des nu\u00e9es\nQui hante la temp\u00eate et se rit de l'archer ;\nExil\u00e9 sur le sol au milieu des hu\u00e9es,\nSes ailes de g\u00e9ant l'emp\u00eachent de marcher.\n", "literary_analysis": "\u00ab Le Po\u00e8te \u00bb et \u00ab Ce voyageur ail\u00e9 \u00bb : en premi\u00e8re position dans les deux derniers quatrains, ils sont bien mis sur le m\u00eame plan. Le Po\u00e8te, L\u2019albatros dans le titre du po\u00e8me, ce sont des articles d\u00e9finis g\u00e9n\u00e9riques, qui d\u00e9signent la notion g\u00e9n\u00e9rale, ils ont la m\u00eame dimension symbolique. En plus, le po\u00e8me se termine soudainement au pr\u00e9sent de v\u00e9rit\u00e9 g\u00e9n\u00e9rale : pour des actions vraies en tout temps, comme dans les fables, on se rapproche du genre de l\u2019apologue. \u00ab Le roi de l\u2019azur \u00bb, \u00ab le prince des nu\u00e9es \u00bb, ce sont des personnages puissants, mais pourtant, ils ne r\u00e8gnent que sur des choses impalpables : l\u2019azur, les nu\u00e9es. Le po\u00e8te est donc \u00e0 l\u2019aise dans les abstractions : la recherche de la beaut\u00e9, l\u2019imagination. Le verbe hanter sugg\u00e8re l\u2019image du fant\u00f4me. Vous savez que Baudelaire a beaucoup traduit Edgar Allan Poe, qui est un ma\u00eetre am\u00e9ricain du fantastique. D\u00e9mat\u00e9rialis\u00e9, l\u2019albatros se fond avec la temp\u00eate et les nu\u00e9es. Voil\u00e0 pourquoi il se rit de l\u2019archer : les fl\u00e8ches ne peuvent rien contre l\u2019orage. Ce rire est sonore, avec l\u2019allit\u00e9ration en R . C\u2019est le tonnerre qui accompagne la temp\u00eate. Baudelaire insiste plusieurs fois sur les ailes de l\u2019albatros. La m\u00e9taphore est fil\u00e9e : si le monde \u00e9lev\u00e9 de la beaut\u00e9 est repr\u00e9sent\u00e9 par le ciel, les ailes qui permettent \u00e0 l\u2019albatros de s\u2019y d\u00e9placer, c\u2019est son talent et son imagination. Dans le Salon de 1859, Baudelaire appelle l\u2019imagination : \u00ab la reine des facult\u00e9s \u00bb. La situation bascule brutalement : \u00ab la temp\u00eate \u00bb devient \u00ab le sol \u00bb \u00e0 l\u2019h\u00e9mistiche. Les \u00ab nu\u00e9es \u00bb deviennent \u00ab les hu\u00e9es \u00bb avec la paronomase, la proximit\u00e9 sonore. Le rire de l\u2019albatros devient le rire des matelots. Ces derniers vers rejouent symboliquement tout le po\u00e8me en raccourci, l\u2019albatros est bien pass\u00e9 finalement de l\u2019azur, aux gouffres amers, de l\u2019id\u00e9al au spleen. Le po\u00e8te, comme l\u2019albatros \u00ab hante la temp\u00eate \u00bb, d\u2019ailleurs, les deux mots riment entre eux. C\u2019est r\u00e9v\u00e9lateur de la conception Baudelairienne de la beaut\u00e9 : elle se trouve dans les lieux les plus tourment\u00e9s et les plus inqui\u00e9tants. Cela rejoint le titre des Fleurs du Mal : la beaut\u00e9 n\u2019a rien \u00e0 voir avec la vertu ou la v\u00e9rit\u00e9. Par la nature m\u00eame de ce projet, Baudelaire s\u2019est toujours heurt\u00e9 aux critiques d\u2019un public bien pensant. \u00c0 sa publication, Les Fleurs du Mal sont condamn\u00e9es pour outrage aux bonnes m\u0153urs, et Baudelaire doit retirer plusieurs po\u00e8mes. Le mot Exil\u00e9 est particuli\u00e8rement fort. Le sens passif du participe pass\u00e9 laisse entendre : par qui ? La violence des hommes d\u2019\u00e9quipage, ou encore l\u2019image de l\u2019archer nous donnent \u00e0 voir l\u2019hostilit\u00e9 tr\u00e8s forte du public : comme l\u2019albatros, le po\u00e8te se heurte \u00e0 l\u2019incompr\u00e9hension de ses contemporains. Le verbe \u00ab hanter \u00bb a peut-\u00eatre une derni\u00e8re signification : le po\u00e8te est \u00e0 la fois absent et pr\u00e9sent partout dans sa po\u00e9sie. Et c\u2019est ce qui se passe ici : il n\u2019appara\u00eet qu\u2019\u00e0 la fin du po\u00e8me, mais c\u2019est lui qui en constitue le sujet principal."}
{"literary_passage": "Analyse ce passage :\n\n(Les Contemplations de Victor Hugo, Demain, d\u00e8s l\u2019aube, partie 3\n\n\nJe ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,\nNi les voiles au loin descendant vers Harfleur,\nEt quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe\nUn bouquet de houx vert et de bruy\u00e8re en fleur.\n", "literary_analysis": "Les n\u00e9gations sont encore tr\u00e8s pr\u00e9sentes dans ce dernier quatrain : \u00ab ni \u2026 ni \u00bb viennent en quelque sort annuler 2 images particuli\u00e8rement po\u00e9tiques. D'abord \u00ab L'or du soir qui tombe \u00bb : c'est une m\u00e9taphore belle, mais conventionnelle, qui est repouss\u00e9e avant m\u00eame d'\u00eatre formul\u00e9e : \u00ab je ne regarderai \u00bb. Symboliquement, c'est l'interruption du travail du po\u00e8te, souvent compar\u00e9 \u00e0 un alchimiste qui transforme ce qu'il regarde, en or. Ensuite, \u00ab les voiles qui descendent \u00bb c'est aussi un clich\u00e9 litt\u00e9raire pour \u00e9voquer le voyage : la synecdoque (un partie pour d\u00e9signer le tout) repr\u00e9sente po\u00e9tiquement les bateaux dont la coque dispara\u00eet \u00e0 l'horizon\u2026 Mais cette description n'est qu'un souvenir du pass\u00e9, et paradoxalement un retour en arri\u00e8re, puisque le po\u00e8te d\u00e9sormais ne les regarde plus. Ces deux n\u00e9gations montrent que la po\u00e9sie est probablement plus \u00e9mouvante dans la pudeur et la simplicit\u00e9, sans ces grands m\u00e9taphores parlant d'or et d'immensit\u00e9\u2026 Les indices temporels vont dans le m\u00eame sens : \u00ab L'or du soir \u00bb qui sonne si bien dans la po\u00e9sie lyrique, annonce surtout ici que la journ\u00e9e est termin\u00e9e. 24 heures se sont \u00e9coul\u00e9es depuis le d\u00e9but du po\u00e8me : or c'est justement le temps qu'il faut \u00e0 une trag\u00e9die, pour se d\u00e9nouer. Victor Hugo utilise ironiquement l'unit\u00e9 de temps qu'il r\u00e9prouve au th\u00e9\u00e2tre, pour mieux annoncer \u00e0 son lecteur la trag\u00e9die imminente des derniers vers. \u00ab Quand j'arriverai \u00bb pr\u00e9sente paradoxalement un retour \u00e0 la case d\u00e9part, un mouvement en boucle. \u00c0 chaque comm\u00e9moration, la douleur de la perte revient : les bateaux rappellent que L\u00e9opoldine est morte noy\u00e9e. Harfleur, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du Havre : c'est l\u00e0 que L\u00e9opoldine a rencontr\u00e9 son mari Charles Vacquerie, qui s'est noy\u00e9 avec elle en tentant de la sauver. Quel est l'itin\u00e9raire suivi par le po\u00e8te ? D'abord \u00ab la campagne \u00bb puis \u00ab la for\u00eat \u00bb, \u00ab la montagne \u00bb et enfin, un port. C'est le cheminement d'un fleuve qui suit sa pente naturelle et se noie dans la mer... L'itin\u00e9raire est symbolique mais l'estuaire est r\u00e9el : Harfleur, Le Havre, Villequier\u2026 Un seul et m\u00eame fleuve passe par ces trois \u00e9tapes : la Seine, le fleuve qui a emport\u00e9 L\u00e9opoldine. Victor Hugo \u00e9voque dans ce po\u00e8me un v\u00e9ritable p\u00e8lerinage qu'il effectue tous les ans \u00e0 la m\u00eame date. Les voiles au pluriel peuvent d'ailleurs d\u00e9signer un v\u00eatement blanc comme l'aube du premier vers, un v\u00eatement de deuil qui tombe sur la mer avec ce mouvement descendant irr\u00e9pressible. La chute du po\u00e8me est particuli\u00e8rement mise en valeur : le compl\u00e9ment d'objet \u00ab un bouquet \u00bb est rejet\u00e9 au vers suivant, cela cr\u00e9e un moment d'attente. En m\u00eame temps, le rythme s'allonge : \u00ab Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe // Un bouquet de houx vert et de bruy\u00e8re en fleur. \u00bb => 1, 5, 6, 12, comme si le po\u00e8te ext\u00e9nu\u00e9 \u00e9tait incapable de poursuivre au-del\u00e0 d'un dernier souffle. La forme du po\u00e8me peut nous interroger : pourquoi ces trois quatrains si fugaces ? On pourrait \u00eatre tent\u00e9 d'y chercher un sonnet avec une volta (un moment de basculement apr\u00e8s le deuxi\u00e8me quatrain) et un dernier tercet priv\u00e9 de ses deux derniers vers... Des vers absents o\u00f9 le p\u00e8re retrouve sa fille dans la mort ?"}