literary_passage
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Analyse ce passage :
(Fleurs du mal de Baudelaire, chapitre À une passante, partie 3)
Un éclair... puis la nuit ! — Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
| Traditionnellement, le sonnet bascule entre les quatrains et les tercets, c’est ce qu’on appelle la volta. Ici, on pourrait dire que tout se joue dans l’intervalle des points de suspension comme si le moment était trop court, impossible à raconter. Ou encore, comme si l’événement était justement une rencontre qui n’a pas eu lieu. L’image de l’éclair remotive l’expression « un éclair de génie » : la beauté est comme un paysage éclairé par la foudre, tout en contrastes, fugace et menaçant. Le clair et l’obscur, tuer et faire renaître, ce sont des antithèses, le rapprochement de termes opposés, qui illustrent bien le paradoxe de la beauté baudelairienne : à la fois vitale et redoutable pour l’artiste. q>L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu. » Baudelaire, Le Spleen de Paris, « le Confiteor de l’Artiste », 1869. Cette fugitive beauté forme un contre-rejet : un enjambement où la phrase débute en fin de vers. Du coup le vers se prolonge, et on attend la rime jusqu’au dernier mot du tercet : « éternité » qui lui est diamétralement opposé. C’est bien une beauté paradoxale, prise entre la temporalité la plus longue et l’instant le plus court. Le tiret de dialogue annonce un discours direct : les paroles sont rapportées telles quelles. Le poète semble apostropher la beauté avec son nom propre, sans déterminant et avec une majuscule... D’ailleurs, employé comme un nom commun, l’adjectif « fugitive » peut aussi désigner une personne, paradoxalement absente au moment où le poète l’appelle de vive voix. Il s’adresse à elle directement à la deuxième personne : « ne te verrai-je plus ? » Mais en même temps, le futur et la forme négative en font une question rhétorique : une question dont la réponse n’est pas attendue. Le dialogue est rendu impossible par cette absence définitive. Quand le poète se retourne, la passante a déjà disparu : on peut certainement lire ce poème comme une réécriture d’Orphée, ce poète mythique qui serait descendu aux enfers pour retrouver sa bien aimée Eurydice. Mais il se retourne trop tôt sur le seuil des Enfers, et elle disparaît irrémédiablement. La rue était dès le début un lieu aux connotations infernales. Le verbe renaître semble indiquer que le Poète est tiré de la mort elle-même. « Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? » l’obstacle qui les sépare désormais est aussi infranchissable que la mort elle-même. Tout cela rend plausible le motif de la catabase : c’est le mot savant pour désigner le voyage aux enfers. Le dernier tercet d’un sonnet doit normalement constituer une pointe, un effet de chute final. C’est le cas ici : le poète répond lui-même à sa question : « Ailleurs, bien loin d’ici, trop tard, jamais peut-être. » C’est une gradation : des termes de plus en plus fort, d’abord dans l’espace (ça laisse encore une possibilité de retrouvailles, par le voyage par exemple) mais ensuite dans le temps, et l’adverbe jamais signe définitivement la fin de cet espoir. Regardez comment sont disposés les pronoms personnels qui représentent le poète et la passante : c’est un chiasme, une structure en miroir qui les éloigne définitivement l’un de l’autre. Le mot « Ailleurs » rappelle ces poèmes, comme le Parfum Exotique ou l’Invitation au Voyage, où la beauté ne semble pouvoir se trouver qu’en des lieux toujours lointains. L’ailleurs est bien chez Baudelaire un symbole de la recherche esthétique. Le subjonctif est le mode de l’irréel ou de la virtualité, notamment pour faire des hypothèses. « Ô |
Analyse ce passage :
(Fleurs du mal de Baudelaire, Élévation, partie 4)
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ; | Avec la préposition « derrière » et l’adjectif « vastes » les ennuis et les chagrins deviennent concrets, matériels. En face de l’énergie ascendante, Baudelaire oppose une inertie, le « poids » des ennuis et des chagrins, qui se trouvent du côté du Spleen. Baudelaire n’invente pas une métaphore originale, il prend pour appui des expressions toutes faites : « le poids des ennuis », « la lourdeur d’une activité, pesante » etc. mais par sa petite mise en scène, il remotive la métaphore cachée dans l’expression courante : c’est ce qu’on appelle une catachrèse. Cela explique aussi l’image de « l’existence brumeuse » : la brume, c’est un amas de gouttelettes d’eau, trop lourdes pour s’élever loin du sol. Le quatrain fonctionne sur un système d’opposition. Les deux premiers vers sont du côté du Spleen, tandis que les deux vers suivants sont du côté de l’idéal. « Heureux celui qui peut » Baudelaire reprend et détourne les béatitudes de la bible « heureux les simples d’esprit, car le royaume des cieux est à eux. » C’est le sermon sur la Montagne, rapporté par l’évangéliste Matthieu. Au contraire, chez Baudelaire, le bonheur n’est pas dans la simplicité de l’esprit, mais dans sa liberté et son exercice. En utilisant la référence biblique, le propos de Baudelaire se généralise. La valeur du présent devient clairement un présent de vérité générale : ce n’est plus « mon esprit sillonne gaiement l’immensité profonde » mais « Heureux sont tous les hommes dont l’esprit peut s’élancer vers les champs lumineux et sereins. » Peut-être que Baudelaire a choisi la métaphore des champs à cause de son homophonie avec le chant, il indiquerait ainsi que cet espace lumineux est justement celui de la poésie. D’ailleurs, cette partie du poème est particulièrement musicale, regardez : Les assonances en EU créent une impression de légèreté, en soulignant des mots importants et positifs : heureux, vigoureux, lumineux. Les allitérations en L illustrent les battements d’aile. En effet le nageur s’est désormais complètement métamorphosé en oiseau, avec « l’aile vigoureuse ». On trouve toutes sortes d’oiseaux chez Baudelaire, on peut penser à l’Albatros, ce roi de l’azur avec ses ailes de géant, et qui incarne justement une image du poète. |
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(Fleurs du mal de Baudelaire, Hymne à la Beauté, partie 2)
Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l’enfant courageux. | La deuxième personne du singulier revient de façon entêtante en début de vers, c'est ce qu'on appelle une anaphore rhétorique, une construction répétée en tête de phrase ou de proposition. Au début du quatrain, la relation est plutôt physique et sensuelle, à travers le regard, les parfums, les baisers. Mais ensuite le philtre fait référence à la légende Tristan et Iseut : c'est une relation amoureuse, passionnelle, et irrésistible, parce qu'elle est magique. En recevant ces baisers, le poète est à la fois héros et enfant : il est profondément transformé par cette relation surnaturelle. Dans ce dernier vers, le héros et l’enfant surgissent avec leur cortège d'exemples qui envahissent immédiatement l'imaginaire. Le héros lâche, c'est Pâris charmé par Hélène qui provoque la guerre de Troyes, c'est Ulysse attaché au mât de son navire pour résister au chant des sirènes, ou encore Samson, le guerrier biblique séduit par Dalila, qui le prive de sa force en lui coupant les cheveux… L’enfant courageux, on le retrouve dans de nombreux contes : le Petit Poucet, Hansel et Gretel, Jacques et le Haricot Magique, etc. Ces références mélangent des mythes bibliques, antiques, des contes et des légendes. Pour aller encore plus loin : « Aurore », c'est le prénom de la belle au bois dormant… Et c'est aussi le nom d'une déesse, qui suit la course du soleil. « Héros lâche … enfant courageux » c'est une double antithèse qui forme en plus un chiasme : l’enfant normalement peureux devient le Héros, brave par définition, et inversement. Ce philtre aux effets contradictoires représente bien l'ambivalence de la beauté. Le mot « philtre » est polysémique : il a plusieurs sens. L'élixir d'amour renvoie à Tristan et Iseult, mais aussi d’une manière générale à la sorcellerie, aux contes de fée. Le philtre désigne aussi la partie en creux de la lèvre supérieure qu'on appelle « l’arc de Cupidon » : tout est fait pour mélanger des références culturelles variées. On rejoint la mythologie antique également avec le mot « amphore ». « Ton oeil », c'est une synecdoque (la partie représente le tout) l'oeil au singulier désigne en fait les yeux, le regard, la beauté toute entière. La synecdoque suit toujours une logique métonymique : un glissement de sens par proximité. C'est caractéristique de l'envahissement du poème par le principe de l'allégorie. Le couchant et l'aurore, qui s'opposent normalement, se retrouvent concentrés dans un oeil au singulier : ils se complètent alors pour former un univers entier, dans un instant figé. Dans cette image, l'oeil devient un astre : le soleil du matin et du soir, peut-être aussi la lune, les étoiles, ou encore l'horizon circulaire du monde, qui symbolise l'infini. Le jeu de lumières qui mêle le couchant et de l'aurore forme en même temps un jeu avec les perceptions. Le « soir répand des parfums » ... « orageux » il est en même temps sonore. D'ailleurs, les sonorités du quatrain dépendent fortement de la lettre O , comme si le cercle était démultiplié dans le texte lui-même. La forme arrondie de la bouche, comparée à une amphore, est souvent associée au chant et au genre lyrique... Elle peut aussi évoquer l'image de la corne d'abondance, qui symbolise une richesse infinie. On peut aussi penser aux Danaïdes condamnées à remplir éternellement un tonneau sans fond. Le verbe « contenir » a en même temps un sens très dynamique : on contient ce qui déborde. D'ailleurs il est aussitôt contredit par le verbe « répandre ». C'est une des ambivalences de la beauté, qui donne accès à un univers à la fois concentré et en expansion. Dans le même sens, la rime « orageux / courageux » est |
Analyse ce passage :
(Fleurs du mal de Baudelaire, L’Albatros, partie 4)
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
| « Le Poète » et « Ce voyageur ailé » : en première position dans les deux derniers quatrains, ils sont bien mis sur le même plan. Le Poète, L’albatros dans le titre du poème, ce sont des articles définis génériques, qui désignent la notion générale, ils ont la même dimension symbolique. En plus, le poème se termine soudainement au présent de vérité générale : pour des actions vraies en tout temps, comme dans les fables, on se rapproche du genre de l’apologue. « Le roi de l’azur », « le prince des nuées », ce sont des personnages puissants, mais pourtant, ils ne règnent que sur des choses impalpables : l’azur, les nuées. Le poète est donc à l’aise dans les abstractions : la recherche de la beauté, l’imagination. Le verbe hanter suggère l’image du fantôme. Vous savez que Baudelaire a beaucoup traduit Edgar Allan Poe, qui est un maître américain du fantastique. Dématérialisé, l’albatros se fond avec la tempête et les nuées. Voilà pourquoi il se rit de l’archer : les flèches ne peuvent rien contre l’orage. Ce rire est sonore, avec l’allitération en R . C’est le tonnerre qui accompagne la tempête. Baudelaire insiste plusieurs fois sur les ailes de l’albatros. La métaphore est filée : si le monde élevé de la beauté est représenté par le ciel, les ailes qui permettent à l’albatros de s’y déplacer, c’est son talent et son imagination. Dans le Salon de 1859, Baudelaire appelle l’imagination : « la reine des facultés ». La situation bascule brutalement : « la tempête » devient « le sol » à l’hémistiche. Les « nuées » deviennent « les huées » avec la paronomase, la proximité sonore. Le rire de l’albatros devient le rire des matelots. Ces derniers vers rejouent symboliquement tout le poème en raccourci, l’albatros est bien passé finalement de l’azur, aux gouffres amers, de l’idéal au spleen. Le poète, comme l’albatros « hante la tempête », d’ailleurs, les deux mots riment entre eux. C’est révélateur de la conception Baudelairienne de la beauté : elle se trouve dans les lieux les plus tourmentés et les plus inquiétants. Cela rejoint le titre des Fleurs du Mal : la beauté n’a rien à voir avec la vertu ou la vérité. Par la nature même de ce projet, Baudelaire s’est toujours heurté aux critiques d’un public bien pensant. À sa publication, Les Fleurs du Mal sont condamnées pour outrage aux bonnes mœurs, et Baudelaire doit retirer plusieurs poèmes. Le mot Exilé est particulièrement fort. Le sens passif du participe passé laisse entendre : par qui ? La violence des hommes d’équipage, ou encore l’image de l’archer nous donnent à voir l’hostilité très forte du public : comme l’albatros, le poète se heurte à l’incompréhension de ses contemporains. Le verbe « hanter » a peut-être une dernière signification : le poète est à la fois absent et présent partout dans sa poésie. Et c’est ce qui se passe ici : il n’apparaît qu’à la fin du poème, mais c’est lui qui en constitue le sujet principal. |
Analyse ce passage :
(Les Contemplations de Victor Hugo, Demain, dès l’aube, partie 3
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
| Les négations sont encore très présentes dans ce dernier quatrain : « ni … ni » viennent en quelque sort annuler 2 images particulièrement poétiques. D'abord « L'or du soir qui tombe » : c'est une métaphore belle, mais conventionnelle, qui est repoussée avant même d'être formulée : « je ne regarderai ». Symboliquement, c'est l'interruption du travail du poète, souvent comparé à un alchimiste qui transforme ce qu'il regarde, en or. Ensuite, « les voiles qui descendent » c'est aussi un cliché littéraire pour évoquer le voyage : la synecdoque (un partie pour désigner le tout) représente poétiquement les bateaux dont la coque disparaît à l'horizon… Mais cette description n'est qu'un souvenir du passé, et paradoxalement un retour en arrière, puisque le poète désormais ne les regarde plus. Ces deux négations montrent que la poésie est probablement plus émouvante dans la pudeur et la simplicité, sans ces grands métaphores parlant d'or et d'immensité… Les indices temporels vont dans le même sens : « L'or du soir » qui sonne si bien dans la poésie lyrique, annonce surtout ici que la journée est terminée. 24 heures se sont écoulées depuis le début du poème : or c'est justement le temps qu'il faut à une tragédie, pour se dénouer. Victor Hugo utilise ironiquement l'unité de temps qu'il réprouve au théâtre, pour mieux annoncer à son lecteur la tragédie imminente des derniers vers. « Quand j'arriverai » présente paradoxalement un retour à la case départ, un mouvement en boucle. À chaque commémoration, la douleur de la perte revient : les bateaux rappellent que Léopoldine est morte noyée. Harfleur, à côté du Havre : c'est là que Léopoldine a rencontré son mari Charles Vacquerie, qui s'est noyé avec elle en tentant de la sauver. Quel est l'itinéraire suivi par le poète ? D'abord « la campagne » puis « la forêt », « la montagne » et enfin, un port. C'est le cheminement d'un fleuve qui suit sa pente naturelle et se noie dans la mer... L'itinéraire est symbolique mais l'estuaire est réel : Harfleur, Le Havre, Villequier… Un seul et même fleuve passe par ces trois étapes : la Seine, le fleuve qui a emporté Léopoldine. Victor Hugo évoque dans ce poème un véritable pèlerinage qu'il effectue tous les ans à la même date. Les voiles au pluriel peuvent d'ailleurs désigner un vêtement blanc comme l'aube du premier vers, un vêtement de deuil qui tombe sur la mer avec ce mouvement descendant irrépressible. La chute du poème est particulièrement mise en valeur : le complément d'objet « un bouquet » est rejeté au vers suivant, cela crée un moment d'attente. En même temps, le rythme s'allonge : « Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe // Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. » => 1, 5, 6, 12, comme si le poète exténué était incapable de poursuivre au-delà d'un dernier souffle. La forme du poème peut nous interroger : pourquoi ces trois quatrains si fugaces ? On pourrait être tenté d'y chercher un sonnet avec une volta (un moment de basculement après le deuxième quatrain) et un dernier tercet privé de ses deux derniers vers... Des vers absents où le père retrouve sa fille dans la mort ? |
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